jeudi 26 juin 2014

Les chemins distincts du football canadien et du football américain


Le football canadien et le football américain tiennent leurs origines au même endroit.  À la base, ils sont dérivés du rugby, qui était entre autres joué par des régiments britanniques stationnés à Montréal au milieu du XIXe siècle.  Les règles évoluèrent, variant d’une association, d’un club ou d’un endroit à un autre. 

Par la suite, les deux footballs prirent des directions à l’image de leur pays respectif.  Le football américain se distingua rapidement, au point de devenir méconnaissable.  La version canadienne demeura plus près de la version britannique, pour ensuite se rapprocher de la version américaine.  Elle parvint par après à conserver sa distinction, même si celle de son gigantesque voisin lui porte ombrage.

Le premier club formé au nord de la frontière fut le Montreal Football Club, en 1868.  (Au sud, le Oneida FC de Boston a été fondé en 1862.)

McGill contre Harvard
En 1874, l’Université Harvard, qui jouait selon les « règles de Boston» (en opposition entre autres aux règles de New York), joua une série de matchs contre l’Université McGill, alternant entre les règles canadiennes et celles de Boston.  Un ballon rond fut utilisé, même si les canadiens jouaient avec un ballon ovale.


Hamilton contre Montréal, 1907

En 1909, le gouverneur général du Canada, son Excellence Earl Grey, fit don d’une coupe pour couronner le champion amateur de rugby football.  Initialement, les équipes éligibles étaient le champion universitaire, le champion de l’Ontario Rugby Football Union (niveau senior) et celui de l’Inter-Provincial Rugby Football Union (IRFU, qui deviendra plus tard la division est de la Ligue Canadienne de Football ou LCF).


La première Coupe Grey, Université de Toronto contre Parkdale Canoe Club, 1909

Ce n’est qu’à partir de 1921 (l’année suivant la fondation de ce qui deviendra la NFL) que les équipes de l’ouest du pays (Western Inter-Provincial Rugby Football Union, qui deviendra plus tard la division ouest de la LCF) commencèrent à faire partie de la compétition pour la Coupe Grey.  Il faut dire que le pays est immense, que les moyens de transport n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui et que les clubs sont toujours considérés comme amateurs.  (Certains joueurs peuvent gagner leur vie à jouer au hockey, qui est lui, professionnel, ou recevoir des « cadeaux » pour jouer, mais à la base les moyens sont limités.)  C’est pourquoi qu’à part pour le tournoi de la Coupe Grey, les clubs de l’est n’affrontaient pas ceux de l’ouest.

C’est en 1929 que la passe avant commença à être utilisée, dans l’ouest.  (Elle l’était au sud de la frontière, où on s'était éloigné de cette règle du rugby, depuis 1906.)  Elle fut officiellement acceptée à grande échelle en 1931.  La situation avantagea les Winged Wheelers de Montréal, qui avaient au quart Warren Stevens, un américain, familier avec cette tactique, et qui étudiait à McGill.  Il faut dire qu’à ce moment, comme les clubs sont amateurs, les joueurs sont essentiellement locaux et la présence d’américains est rarissime.  Montréal en profita pour remporter la Coupe Grey.  (voir texte du 7 novembre 2013)

Au début des années 1930, le club de Winnipeg se mit à embaucher des joueurs américains.  Devant le succès qu’il remporta à mettre fin à l’hégémonie de l’est en 1935, une règle fut mise en place pour limiter leur nombre au sein d’une équipe.  Par contre, comme ceux-ci étaient des professionnels, cette règle eut pour effet d’officialiser le professionnalisme. (voir texte du 22 novembre 2012)

En 1956, la valeur d’un touché passa de cinq (comme au rugby) à six points, chose qui était déjà en place aux États-Unis depuis 1912.

C’est en 1958 que l’est (IRFU) et l’ouest (WIRFU) s’allièrent formellement pour former la Ligue Canadienne de Football.  Depuis, seulement ses équipes sont éligibles à disputer la Coupe Grey, éliminant ainsi les clubs seniors.  (Les clubs universitaires avaient cessé d’y aspirer depuis longtemps.)

C’est en 1961 que commencèrent les rencontres régulières (autres que le match de la Coupe Grey) entre les équipes de l’est et de l’ouest.   

Jusqu’au milieu des années 1980, un noir qui tenait à jouer comme quart n’avait presque que la LCF comme débouché.  (voir textes du 5 septembre 2012, du 7 et du 20 septembre 2013)

Aujourd’hui, les deux types de football conservent plusieurs distinctions, qui font en sorte de rendre le jeu différent.  On peut en préférer un ou l’autre, ou apprécier les deux.

Les trois essais (au lieu de quatre), le terrain (110 verges versus 100) et les zones de but plus grandes et plus larges, les receveurs en mouvement et la verge entre les deux lignes de mêlée favorisent le plus long jeu, la passe et l’offensive.  Ils offrent aussi la possibilité de compter sur des joueurs agiles, mais qui sont considérés comme trop petits pour la NFL.

Parmi les autres différences, on retrouve :

-20 secondes pour mettre le ballon en jeu au lieu 45 et un temps d’arrêt par demie au lieu de trois, ce qui accélère le rythme du jeu;

-12 joueurs au lieu de 11;

-Un simple (ou un rouge, bon pour un point) pour un botté qui se retrouve dans la zone des buts (incluant une tentative de placement ratée);

-Immunité de 5 verges sur un attrapé de botté, pas de « fair catch »;

-21 des 44 joueurs doivent être canadiens, dont 7 partants;

-Le poteau des buts à l'avant de la zone de buts (comme au rugby), plutôt qu'au fond.

Comme on l’a vu, les deux versions sont légitimes.   Elles sont toutes deux originaires du rugby, mais ont simplement évolué différemment.  Il n’y en a pas une qui est plus « vraie » que l’autre.  Les deux sont aussi riches en histoire.

Personnellement, je préfère la version canadienne, que j’estime plus offensive, ouverte et créative, avec un rythme plus soutenue.  Évidemment, elle ne bénéficie pas du puissant et lucratif marché américain.  (Une expansion du côté américain fut tentée entre 1993 et 1995, mais celle-ci s’avéra un échec.)  Les sommes impliquées dans la LCF (salaires, droits de télévision, produits dérivés, etc.) n’ont aucune commune mesure avec ce qu’on retrouve dans la NFL.  L’ampleur de la mise en marché non plus. 

Par contre, l’écart provient d'abord des faramineux droits que verse la télévision américaine.  Jusqu’au début des années 1960, alors que les revenus provenaient presque exclusivement de la vente de billets, les deux ligues se livraient une lutte pour le meilleur talent.  Des joueurs ont signé des ententes avec des équipes de la LCF, parce que plus lucratives que ce qu’offrait la NFL.  La télévision, appuyée par une population dix fois plus importante que la nôtre, est venue tout changer.

Mais il en résulte du sport à une dimension plus humaine, ce qui peut avoir un certain charme dans un monde du sport marqué par la démesure.

Sources :

Currie, Gordon, 100 Years of Canadian Football, Pagurian Press, 1968, p.17 à 19, 39 à 43, 85 à 98, 136,

Lemay, Daniel, Montréal Football, un siècle et des poussières, Éditions La Presse, 2006, p.35 à 42,

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